Randonnée : France, Suisse, Ecosse, meilleures destinations et conseils
Un propriétaire peut-il interdire l’accès à ses terres ? Les randonneurs cherchent le droit chemin
Par Sophie Vincelot
Publié hier à 09h25, mis à jour à 14h11
Dans le massif des Vosges, la fermeture de certains chemins inquiète les randonneurs qui craignent un accès de plus en plus restreint à la nature. vafn - stock.adobe.com
DÉCRYPTAGE - La fermeture de certains sentiers par des propriétaires forestiers continue de faire débat chez les cyclistes et les amoureux des balades en plein air. Si la pratique est légale, les mécontents invoquent à l’inverse un frein à leur liberté d’accéder aux espaces naturels.
«Le sujet n’est pas simple», avoue au téléphone Joseph Peter, vice-président de la Fédération Club Vosgien, association qui promeut le tourisme pédestre. «La Constitution française prévoit la protection de la propriété privée et la Charte de l’environnement de 2004, qui a également une valeur constitutionnelle, consacre le droit de vivre dans un environnement respectueux de sa santé.» Deux principes, fondateurs du droit français, qui semblent désormais nourrir un débat : un propriétaire peut-il empêcher des randonneurs ou des cyclistes d’accéder à des pans entiers de nature ? Le 20 octobre, près d’une centaine de marcheurs ont manifesté leur mécontentement à Rimbach-près-Masevaux, dans le massif des Vosges. L’objet de leur grogne : la fermeture d’un chemin de randonnée historique par un propriétaire forestier dans cette petite commune du Haut-Rhin.
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Il est dans son droit, selon la jeune loi du 2 février 2023 visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée. Ce texte sanctionne pénalement, dans son article 8, le fait de «pénétrer sans autorisation dans la propriété privée rurale ou forestière d’autrui». En cas d’infraction, les contrevenants risquent 135 euros d’amende. Un non-sens pour l’association Thur Écologie & Transport, à l’initiative de la marche d’octobre, qui dénonce la pénalisation d’un droit à la nature. «Ce sont des montants similaires à des contraventions de quatrième classe du code de la route. Les randonneurs sont traités comme des chauffards, alors que nous ne faisons que marcher sur un terrain privé, sans commettre le moindre dommage», s’agace son vice-président Jano Celle.
Quelques mois plus tôt, le Club Vosgien avait participé avec d’autres collectifs à une mobilisation similaire. «Ce qui est arrivé l’hiver dernier, c’est une fermeture brutale, avec une destruction du sentier à la pelle mécanique. Nous avons assisté à un spectacle désolant», se souvient Joseph Peter, vice-président de la Fédération du Club Vosgien.
Encore peu de cas recensés
L’exemple de Rimbach est-il l’arbre qui cache la forêt ? En France, 75% des espaces forestiers appartiennent à quelque 3,5 millions de propriétaires privés. Le reste, public donc, est partagé entre les forêts domaniales (qui relèvent de l’État) et des terrains appartenant à des collectivités territoriales. «Avant l’adoption de cette loi, il y avait déjà un phénomène préexistant de limitation d’accès à l’espace naturel, qui ne reposait sur aucun fondement légal», note Lisa Belluco, députée écologiste de la 1ère circonscription de la Vienne, qui a travaillé sur une proposition de loi visant à abroger l’article 8 de la loi du 2 février 2023. Depuis l’adoption de cette mesure, trois cas emblématiques ont émergé dans le débat public, dont celui de Rimbach. «Il y a aussi la réserve naturelle des Hauts de Chartreuse. 750 hectares d’espaces naturels ont été fermés au grand public . À Villeneuve-Loubet, dans les Alpes Maritimes, un propriétaire, issu d’une grande famille locale, a fermé 700 hectares d’espaces naturels, qui constituaient le poumon vert de la zone. Beaucoup de personnes en avaient un usage quotidien», énumère l’élue.
Nous n’avons pas l’impression que les propriétaires aient profité de la loi
Brigitte Soulary, présidente de la Fédération française de la randonnée pédestre (FFRandonnée)
Assiste-t-on pour autant à la multiplication des fermetures de sentiers ? Que ce soit du côté des cyclistes ou des randonneurs, on recense encore peu de plaintes. «Nous n’avons pas l’impression que les propriétaires aient profité de la loi», dédramatise Brigitte Soulary, présidente de la Fédération française de la randonnée pédestre (FFRandonnée). «C’est encore peu significatif à l’échelle de nos 120.000 licenciés. Nous avons recensé une dizaine d’alertes en 2024», complète Isabelle Gautheron, directrice technique nationale de la Fédération française de cyclotourisme.
Des éléments rassurants que confirme Fransylva, organisation qui représente l’ensemble des syndicats de forestiers privés en France. «La loi a fait peu de vagues», soutient Antoine de Ponton d’Amécourt, son président. «Cela a toutefois permis de mettre tout le monde autour de la table car il y avait des trous dans la raquette. Il y a eu une prise de conscience sur la question des assurances pour les propriétaires. Des conventions ont été signées.»
Dans les faits, les terrains privés, forêts ou zones de montagne, peuvent être traversés par toute forme de sentiers de randonnée. Certains sont protégés au niveau départemental grâce à des plans départementaux des itinéraires de promenade et de randonnée (PDIPR), qui ont vocation à préserver le réseau des chemins ruraux et garantir la continuité des itinéraires.
Des accords sont signés avec les propriétaires. En dehors de ces conventions, il existait un flou juridique, avec une présomption de tolérance de passage. «Les forêts ne sont pas toujours aménagées pour accueillir le public. Cela nécessite de l’entretien. Parfois, les gens veulent aller partout, mais ils n’ont pas d’assurance personnelle, tout comme les propriétaires qui peuvent être tenus responsables en cas d’accident», poursuit Antoine de Ponton d’Amécourt. «Tout part d’un problème de communication. Au sein de la fédération, nous avons fait réaliser des panneaux avec un QR code, qui permettent aux randonneurs de connaître la réglementation.»
Inquiétude des usagers
Toutefois, une certaine inquiétude demeure chez les usagers de la nature. «Les cas de fermeture d’accès ne sont pas légion. Mais il faut rester vigilant. Ce qui s’est passé à Rimbach est un mauvais exemple, qui pourrait être repris par certains propriétaires privés pour interdire l’accès à la nature», signale Joseph Peter du Club Vosgien. Une crainte partagée par Isabelle Gautheron : «le phénomène risque de monter crescendo ces prochaines années». Les discussions entre les différents acteurs - associations, élus et propriétaires - s’avèrent complexes. Car plusieurs arguments s’opposent. Pour les propriétaires, il est question de sécurité et de protection de la biodiversité, face à des randonneurs toujours plus nombreux, qui méconnaissent parfois les règles d’usage. Du côté de certains élus et associations, l’on se bat pour garantir un accès libre et gratuit à la nature. «Dans le cas des Hauts de Chartreuse et de Villeneuve-Loubet, l’entrée a été fermée aux randonneurs, mais ouverte à des personnes qui ont loué les terrains pour y faire de la chasse», interpelle Pierre-Antoine Rigout, membre du collectif Chartreuse.
La solution n’est pas de limiter l’accès, mais bien de sensibiliser
Demeure toujours, en toile de fond, deux éléments en apparence contradictoires. «La propriété privée est un droit issu de la Révolution et il est important d’en tenir compte dans notre approche. Mais existe également celui de pouvoir être dans la nature. C’est une question de santé publique», martèle la députée Lisa Belluco. Et de résumer : «La facilité voudrait que l’on oppose le droit de la propriété à la liberté de se promener. Mais nous devons prendre de la hauteur et se poser une question : est-ce la même chose de posséder et de protéger une propriété de 600 hectares de forêts que de posséder et protéger la propriété d’un jardin ou d’une maison ?» L’élue milite pour un droit d’accès à la nature similaire à celui adopté dans les pays nordiques et en Allemagne. «Cela doit bien sûr s’accompagner d’une éducation adaptée.»
«La solution n’est pas de limiter l’accès, mais bien de sensibiliser le grand public. Certes, le taux d’incivilités a augmenté en même temps que la fréquentation, mais cela reste très minoritaire. Renforcer les moyens pour faire appliquer les règles de bonne conduite est une piste. Il faut que les espaces soient respectés, mais pas restreints», ajoute Pierre-Antoine Rigout. Si la question fait largement débat, le dialogue entre propriétaires forestiers et fédérations d’usagers est loin d’être rompu. «Dans toutes les discussions que nous avons pu avoir, nous sommes conscients du partage de la nature et des règles de bonne conduite», souligne Brigitte Soulary de la FFRandonnée. «Dans l’ensemble, si tout le monde se montre de bonne volonté, tout se passera bien.»